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    De retour d'Italie avant le tunnel du Fréjus.

     

    Avant de traverser l'océan (et après), j'ai sillonné l'Europe en largeur, en hauteur, en diagonale, en triangle, au volant d'un camion. C'était au temps où patrons et affréteurs avaient un droit de sommeil sur les salariés, quand dormir plus de trois heures par nuit était contraire à la libre entreprise. Aujourd'hui, c'est pas mieux : le législateur vous impose des horaires de chemin de fer, un carcan minuté où les temps de repos et de travail sont strictement encadrés sans aucune souplesse, sans tenir compte des conditions de circulation ni des rythmes biologiques de chacun. Pourquoi faut-il que la lutte contre les excès entraine systématiquement d'autres excès ?

    Routier, c'était presque un beau métier pour les amateurs d'horizons nouveaux ; avec un peu de courage et beaucoup de bonne humeur, on pouvait se croire libre.


    Autres parcours Même endroit, en hiver. On monte dans la crasse.





          Effet de soleil  Autres parcours*photo Liliane Mendes Hartelt / Willi



                  La belle et la bête Autres parcours




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    Le Vésuve au soleil levant *


     

    En camion, on n'a pas trop le temps de jouer au touriste. Alors, quand on est bloqué le week-end ou un jour férié, on en profite pour se balader

    comme ici  à Hambourg...
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    ... ou à Aranjuez en Espagne
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    ou encore Madrid

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         Valencia (Espagne) avant de charger 24 tonnes d'oranges pour le nord de la France Autres parcours

     

     

    Lisbonne  Autres parcours                     

                                                                                                                               Dans le Jura

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    Autres parcours et aussi à Paris

     

    Une sirène du bord de Seine ? Autres parcours

     

    Autres parcours * Un routier au musée de la marine...

     ... où l'on se dit que l'aventure (sur la route) n'est souvent qu'une somme de mésaventures mais que les galères vécues, qui deviennent des anecdotes, ne sont rien en comparaison des galères vécues par d'autres générations. Nous sommes (nous, les occidentaux d'aujourd'hui) les privilégiés de l'Histoire mais cela va-t-il durer ? Saurons-nous préserver ce que les anciens ont conquis de haute lutte ?

     

    En attentant le dernier train... Autres parcours

     

    Allons, il faut reprendre la route... Autres parcours *

     

     

    Il m'arrivait de partir trois semaines sans rentrer dans un trafic triangulaire du genre : nord de la France-Ialie, Italie-Allemagne, Allemagne-Espagne, Espagne-Angleterre. Il n'y avait pas de monnaie unique, je disposais de porte-monnaie de différentes couleurs pour m'y retrouver entre les pesetas, les escudos, les deutche-marks, les francs-belges, les florins néerlandais, la lire italienne, le shilling autrichien, la livre sterling, la couronne danoise... Ce n'est pas toujours facile d'entrouvrir la barrière de la langue mais on y arrive selon le degré de patience de votre interlocuteur. Mes quelques restes d'allemand scolaire m'ont bien aidé à l'est des Vosges. Mon anglais laborieux était inaudible en Ecosse (et réciproquement, les Ecossais inaudibles). Les Néerlandais et les Danois sont les meilleurs anglophones européens, ce sont les seuls qui articulent correctement cette langue. En mixant le portugais, l'espagnol et l'italien, vous parvenez à peu près à vous faire comprendre chez tous les latinos.

    L'Europe communautaire n'était qu'une ébauche et le routier devait se montrer patient lors des longues attentes en douanes (très variables : de 1 à 2h en Allemagne, la journée au Portugal). Il fallait aussi jongler avec la paperasse douanière, les autorisations de transit et leur date de péremption, les avis de passage frontalier, et composer avec le racket des douaniers (surtout français et italiens) qui n'hésitaient pas à se prélever un petit pourcentage sur votre chargement, voire vous piquer des cassettes de musique...

     

    Une jolie fleur sur la route de Coimbra (Portugal) Autres parcours

     

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    Conduire un DAF 95 c'est sympa quand on a connu les UNIC à long nez, les Renault G260 et G290, ainsi que les Berliet TR280 où il était impossible de passer les vitesses sans pratiquer le double-débrayage et le double-pédalage...

     

    Je ne suis pas un apôtre du "c'était mieux avant" mais...

    Il est plus satisfaisant de se débrouiller tout seul que de téléphoner pour qu'on vienne vous secourir...

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    La débrouille a disparu au profit de l'assistanat. L'assistanat et les cadences ont tué l'esprit d'entraide et la solidarité.

    C'est toute la différence entre le routier de naguère et l'ouvrier spécialisé qu'il est devenu sur de longues autoroutes d'ennui.

     

    Sans téléphone, une fois que vous étiez parti, le patron et l'affréteur ne pouvaient plus vous joindre, d'où la sensation de liberté (très illusoire).

    Avec les téléphones de cabine et les portables, la localisation par satellites, vous êtes sous contrôle permanent. Les horaires imposés, calculés, ne permettent aucune souplesse. c'est le règne du flux tendu et du repos paramétré.

    Bon, je l'avoue, téléphoner dans un bar en Italie avec une pile de gettone telefonico, le combiné coincé sur l'épaule, le carnet et le crayon d'une main tandis que de l'autre vous enfiliez les jetons dans la fente en essayant de comprendre ce que vous crachait l'affréteur dans l'oreille tout en griffonnant sur votre feuille de papier vos adresses de rechargement, c'était du sport. Le téléphone de cabine participe à la perte du sentiment de liberté mais il simplifie bien la vie, et puis surtout, vous n'avez plus besoin d'apprendre à vous débrouiller seul, il suffit  d'appeler au secours, on vient vous dépanner.

    Quand j'ai découvert le monde de la route, j'étais absolument nul en mécanique (tout juste si je savais comment vérifier un niveau d'huile). J'ai surmonté mon aversion pour cette chose-là et j'ai appris à me dépatouiller sur le bord de la route avec mon cerveau, mes dix doigts, quelques durites de secours, une petite boîte à outils. Grâce aux camions Renault (Ah, les fameux R310 !) j'ai vite progressé dans l'art du bricolage improvisé même si aujourd'hui je déteste toujours autant la mécanique... C'est dans cet état d'esprit que j'ai préparé mon voyage transatlantique : dans l'impossibilité d'appeler au secours ne compter que sur soi. Il faut préciser qu'à cette époque les collègues routiers étaient toujours prêts à vous donner le coup de main ou à vous expliquer comment faire.

    Et les GPS ? Il n'y en avait pas... Mon plaisir était d'étudier la carte afin de déterminer le meilleur itinéraire (ou le plus sympa si j'avais le temps). Lire la carte est un voyage dans le voyage. Je trimballais toute l'Europe dans ma sacoche... J'ai quitté le monde de la route avant la généralisation des GPS et des gadgets électroniques qui aident (?) à la conduite. Le GPS et l'électronique embarquée ? C'est tout un symbole. Les aides à la conduite nous dispensent d'anticiper et au final, nous devenons moins bon chauffeur. Quant au GPS, il nous dispense de réfléchir. Si on pousse un peu loin le raisonnement, on peut considérer que notre destin nous échappe. Nous abdiquons notre libre-arbitre. Nous faisons le choix de ne plus décider de notre avenir et de nous laisser emporter sans rien gouverner (n'est-ce pas l'attitude de nos politiques qui font semblant de maîtriser la barque alors que le courant nous emporte ?).

    Personnellement, je préfère choisir moi-même ma route plutôt que d'appuyer sur un bouton et obéir aveuglément à une petite machine. Je préfère cornaquer un éléphant rustique (mais facilement réparable avec les moyens du bord) plutôt que de me laisser entraîner par un engin bardé d'électronique qui échappe à mon contrôle et qui me met sous la coupe, sous la dépendance, des "spécialistes".

    Il me semble que le progrès technique tel qu'on nous le vend est un leurre. Il paraît nous soulager de contraintes parfois aliénantes (et c'est parfois vrai) mais il accentue notre dépendance envers "les spécialistes" c'est-à-dire ceux qui conçoivent ces systèmes liberticides. Nous devenons les esclaves des petites machines que nous avons engendrées.

    Le vrai progrès c'est de rendre simples les choses compliquées, et non l'inverse : rendre compliquées les choses simples comme nous le vendent les as du marketing (en nous faisant croire que la petite machine simplifie la vie alors qu'elle est synonyme de démission intellectuelle).

    L'humanité est-elle un perpétuel désenchantement ? Heureusement, il reste les nuages, les nuages là-haut qu'on ne se lasse jamais d'observer, les vaste horizons qu'on découvre par-delà le pare-brise panoramique alors qu'un passé en kaléidoscope fuit dans les rétroviseurs. Et l'océan. Et toutes ces belles choses que l'être humanisé sait inventer, imaginer, écrire, chanter, peindre, sculpter, offrir...

     

    Un dimanche matin, je pars pour l'Angleterre avec des tomates chargées en Espagne.Autres parcours

     

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    400 chevaux, c'est pas trop pour tirer 40 tonnes jusqu'au Mont-Blanc (je passais par le tunnel pour ne pas perturber les alpinistes).

    Dans la citerne, du sirop de glucose à livrer en Italie.

     

    Sitra est un transporteur basé à Ypres (Ieper) en Belgique. Il faisait rouler des chauffeurs biélorusses à bord de camions immatriculés en Géorgie pour un salaire... est-européen, tandis que nous, les routiers ouest-européens, étions plutôt bien payés. Ce genre de pratique s'est généralisé et le routier français, ou belge, ou néerlandais, est une race en voie d'extinction. De gros transporteurs français (comme Norbert D... avec ses camions rouges) font rouler des Polonais, des Roumains, des Bulgares, des Ukrainiens pour un salaire défiant toute concurrence... Pourquoi se priveraient-ils puisque c'est légal ? Le routier français n'a plus qu'à s'inscrire à Pôle-emploi où on le harcèlera pour qu'il retrouve au plus vite une embauche... inexistante. Il ne s'agit pas d'une diatribe envers les routiers de l'Est, que je respecte, qui souffrent autant que nous de ce nouvel esclavagisme, mais contre un système délirant qui porte la mort en lui et qui fonce droit dans le mur. Le chauffeur de l'autobus, dont nous sommes les passagers, s'est bandé les yeux et fonce en appuyant à fond sur l'accélérateur en suivant les indications d'un GPS délirant, persuadé qu'il a raison et que son GPS ne se trompe jamais. Il faudrait "tuer" le chauffeur de l'autobus mais de quelles armes disposons-nous ? Le chauffeur fou est protégé par les médias, les penseurs autoproclamés, nos gouvernants à la solde des financiers et des puissants industriels, la démission collective, l'asservissement volontaire (relire le Discours de la servitude volontaire, écrit en 1549 et toujours d'actualité).

    En attendant de se faire définitivement éjecter du système, le routier français (et en général ouest-européen) voit ses itinéraires se rétrécir jusqu'à plus rien, bientôt il ne livrera plus que du gravier entre Billy-Montigny et Mazingarbe. Quand les chauffeurs Polonais ne seront plus assez rentables, Norbert D... embauchera-t-il des Chinois pour faire rouler ses camions rouges ? Mais le prolétaire chinois est peut-être déjà trop cher... Quand ils auront fini d'exploiter tous les peuples de la planète que se passera-t-il ? Scénario 1 : immigration massive de prolétaires martiens. Scénario 2 : retour à la case départ, nous serons les nouveaux esclaves. Scénario 3 : la barbarie.

    Ils cassent le monde en petits morceaux, ils cassent le monde à coups de marteau...

     

    Il me reste malgré tout de bons souvenirs de la Sitra. En citerne alimentaire, on peut rouler le dimanche et les jours fériés, j'accumulais les kilomètres (et les euros) en vue d'un nouveau départ, un nouveau bateau plus grand qu'Arthur, plus costaud, capable d'affronter le gros mauvais temps.

    Un cancer m'a fait renoncer à ce projet.



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    Pierre Willi blog sur la route